Pourquoi marcher c’est bon pour le moral?
Sur notre blog consacré avant tout à la randonnée, il était tôt ou tard indiqué de faire un article sur la marche car marche et randonnée sont indissociables. La marche en montagne nous éloigne de nos tracas quotidiens, procure la distance nécessaire à soi-même et trab-nsforme son rapport au temps.
Qu’est ce donc qu’un marcheur ?
Diriez-vous que c’est un être à contre-courant qui veut maitriser son temps et a décidé de ralentir? Celui qui n’en peut plus de courir, de respirer vite, de penser encore plus vite , les dents serrées, le souffle rendu court non par un sentier pentu mais par la trépidante de sa vie?
Demandez à quelqu’un de dire spontanément ce qu’évoque pour lui le mot marche. Le plus souvent, il répondra : sentier, soleil, vent, ciel, horizon, espace. Et pourtant cela pourrait évoquer aussi bien pluie, vent, tempête, fatigue, faim, soif, lassitude. Comme si le seul mot de marche libérait des besoins d’espace et d’horizon, et surtout des désirs de liberté, d’imprévu, d’aventure.

Villages du Mercantour dans les Alpes du sud

La méditation et la marche:

  • Il existe dans la pratique du zen une pratique entre deux assises qui s’appelle kinhin, c’est une marche lente et méditative au rythme de la respiration. Nous proposons un stage en pleine montagne de méditation et nous avons un article sur le blog à ce sujet.
    Un maître zen avait posé un jour cette question à un disciple:
  • Qu’est-ce donc que marcher?
    Ce koan travaillait ardemment le disciple qui mettait toutes ces cellules en oeuvre pour trouver une réponse :
  • la première fut poétique, estimant que le zen méritait une telle inspiration :
    « Marcher, c’est être en chemin ( du zen, bien évidemment se dit le disciple se croyant malin). »
    « Non » hocha la tête du maître silencieux.
    Il en fut rendu à chercher des réponses prosaïques-
    «  Marcher, c’est faire un pas, l’un devant l’autre ».
    La tête vénérable dodelina d’un coté et de l’autre.
    Entretemps, il se passait une année à réfléchir. Mettre un pied devant l’autre ,où est le sens de tout ça?
  • Le koan est comme une flèche qui se fiche dans l’être et le fait avancer ou reculer mais en tous cas, l’interroge.
    De temps en temps, dans la nuit, le koan, le réveillait ; marcher, marcher, c’est quoi?
    A-t-il trouvé sa réponse? Peu importe car à chacun son chemin. Mais toute interprétation intellectuelle fait fausse route….
    Le langage n’est pas que communication. Selon l’expression zen, chacun recherche la « parole vive », celle qui le transpercera totalement et le fera accéder à l’éveil intérieur. Les koan sont souvent déroutants, inattendus avec des formulations paradoxales.

marche en famille dans les Alpes du sud

L’éloge de la marche avec les écrivains voyageurs

Alexandra David Neel , une des plus grandes marcheuses du siècle dernier,dans une de ses lettres à son mari, Philippe, dans son livre «  voyage d’une parisienne à Lhassa » , lui dit ceci
-« Peu importe le but, c’est le chemin qui compte ». Cette écrivaine féministe du début du 20 ème siècle avait marché 8 mois avec son fils adoptif à travers les montagnes du Tibet pour rejoindre Lhassa, la capitale interdite, à travers  » le pays des neiges » , déguisée en mendiante. Pour la première fois, une femme occidentale rentrait à Lhassa en 1924. Quel extraordinaire défi et quel courage et en même temps elle décrit l’émerveillement à la rencontre des tribus autochtones, à travers les immenses solitudes des hauts plateaux, des cols montagneux à plus de 5000 m sur le  » Toit du monde ». Marcher pour elle était également une pratique spirituelle, un échappatoire à un monde matérialiste ( déjà à l’époque) qui l’étouffait. C’était sa façon à elle de  » tenir debout », de ne pas s’effondrer devant un monde incompréhensible. Elle a traversé les deux guerres mondiales sur les chemins de l’Asie!

Sylvain Tesson
Dans le livre qu’il a écrit après sa chute, « Sur les chemins noirs » , il part du Mercantour et dans une interview la question lui est posée :

L’homme qui arrive dans le Cotentin est différent de celui parti du Mercantour ?
– « D’abord, je m’étais reconstruit physiquement par cette belle activité, très simple, très pure, et probablement fondatrice, qu’est la marche. Deuxièmement, j’avais porté un regard sur un pays que je ne connaissais pas, la France, et j’avais pu me rendre compte de la disparition d’une catégorie de population, les paysans, ceux-là même qui ont forgé le visage de la France. Ils nous lèguent quelque chose qui s’appelle le paysage, et ils ne seront plus jamais là pour nous l’expliquer. Troisième leçon, c’est qu’il est possible de traverser le pays en se glissant dans les interstices grâce à un outil très simple, la carte au 1/25 000e, cette carte au trésor qui nous révèle les chemins de traverse. J’ai essayé de bâtir un texte autour de cette idée qu’il y avait une forme d’accomplissement intérieur de la pensée, de l’équilibre, du sentiment d’être à la verticale de soi-même, à condition de se tenir sur ces chemins où on est autonome, libre, environné par la beauté des paysages. « 

faune du Mercantour en randonnée

Un peu plus tard, citons ce passage : »

«Il m’aura fallu courir le monde et tomber d’un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j’ignorais les replis, d’un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides.
La vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs.
Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.»

Dans un excellent article du Monde, six écrivains racontent leur relation avec la marche. Un est ethnologue, l’autre alpiniste, ou philosophe ou encore sociologue:

  • Martine Segalen, ethnologue : « Il existe un esprit de la course et un esprit de la marche »

« Si course et marche revendiquent la même origine et la simplicité de leur technique, elles se différencient immédiatement par leur vocabulaire : en course, on fait des foulées ; en marche, des pas. Au-delà de la différence dans la vitesse de l’exercice, qui reste le marqueur premier, et en dépit d’une évidente proximité dans l’usage que l’on fait de son corps, course et marche sont pratiquées par des publics différents ; elles sont porteuses de valeurs différentes, qu’il s’agisse du rapport au temps, à l’espace, à soi-même et aux autres. En ce sens, il semble bien qu’il existe un esprit de la course et un esprit de la marche. »

 

randonnee dans le parc national du Mercantour, Alpes du sud

La marche et la randonnée, toute une histoire d’amour

Un marcheur se rend disponible à la rencontre, à l’éphémère, à l’inattendu. Il ne maitrise pas le fil de l’histoire qui se déroule dans sa journée de marche. Que ce soit en montagne, la rencontre inopinée avec un chamois, nez à nez avec un bouquetin, ou encore un moment intime avec un torrent, une course effrénée vers une cabane d’alpage, poursuivi par un violent orange, l’abri improvisé sous un rocher permettant de dévorer son sandwich à l’abri du vent. On ne sait jamais vraiment quelle va être cette journée, ce que le ciel va nous réserver: orage ou beau temps, on a beau consulter la météo, la surprise est toujours possible! L’imprévu est le guide du jour.
Un marcheur rentre dans un tableau impressionniste :
Une randonnée est faite d’impressions et de tonalités différentes. Chaque marche n’est pas la même. Les émotions rappellent des souvenirs, des comparaisons. Les paysages impulsent des empreintes. On pourrait trouver des couleurs à chaque randonnée qu’on a faite : bleue pour un journé ensoleillé,é grise pour un jour de nuages, orange pour la traversée de terres ocres etc, verte pour les alpages ou les forêts. Marcher permet de musarder. Que ce mot n’est plus employé! Que veut-il dire au fond : sur le dictionnaire, la définition est : Perdre son temps à des riens. Ce mot s’enfuit de nos monde pressés tout comme flâner!
Nous proposons d’ailleurs une randonnée pour ceux qui ont décidé de prendre leur temps et nous l’avons nommée «  flâneries en Mercantour »!

Flânerie en Mercantour en famille avec vos enfants

La marche : un chemin intérieur :

Ne dit-on pas de quelqu’un qui a avancé dans sa construction interne, qu’il a cheminé?
Aristote enseignait la philosophie au Lycée d’Athènes en marchant avec ses élèves ce qui valut à son École le qualificatif de péripatéticienne (l’école des promeneurs).
La marche favorise la concentration:
«Les seules pensées valables viennent en marchant » écrivait Nietzsche. Rousseau affirme que « la marche met l’esprit en mouvement »,

Les effets de la marche sur le cerveau:

Papillons dans le parc national du Mercantour

A l’Institut Max Planck de Berlin, on a demandé à des enfants et à des adultes de passer des tests assis devant un bureau, ou en marchant à la vitesse de leur choix sur un tapis roulant. Ces tests consistaient à écouter des séries de chiffres prononcés par un haut-parleur, et à indiquer, pour chaque chiffre, s’ils l’avaient déjà entendu quatre chiffres plus tôt.
Dans ces conditions, les participants, quel que soit leur âge, ont commis moins d’erreurs en marchant, les enfants de neuf ans tirant le meilleur bénéfice de cet exercice, avec presque 40 pour cent d’erreurs en moins.
Quel étudiant n’a pas marché en rond, en large et en travers pour se réciter un passage qu’il n’arrivait pas à mémoriser. Quel petit de 8 ans, déjà, ne marchait pas pour se «  rentrer sa récitation dans la tête. 
Selon les psychologues, ce phénomène s’explique par un effet de vigilance : la marche maintient le corps en action et, dans une certaine mesure, l’esprit alerte. Le cerveau est mieux irrigué, l’attention se relâche moins facilement.

Cimes du Mercantour dans les Alpes du sud

Marcher c’est lever la tête vers le ciel…


…et remarquer la forme des nuages, c’est choisir son coin de prairie pour savourer son pique-nique. C’est écouter les bruits de la forêt ou le silence du bois. Ce sont des petites successions d’éternités, de présents sans temps, d’éphémères non-pensées ou on reste juste là.
Marcheur ou vagabond?
Il y a ceux qui préfèrent se réfugier le soir dans une grange ou leur tente, qui se sentent vagabonds ou clochards célestes, qui se ravissent du chant des oiseaux, de l’odeur du trèfle alpin ou des violettes au printemps qui sont éblouis par la lumière du soir sur les crêtes.

Coucher de soleil sur le Mercantour, Alpes du sud

La marche du monde : le mot de Gédéon, note âne randonneur et philosophe.

A chaque fin d’article Gédéon ne peut s’empêcher de poser un avis sur ce qu’on écrit ou débat et il est très utile d’écouter ses conseils et ses conclusions sur le monde des humains. Car un âne sent beaucoup de choses:
« Alors, entre la kihin, marche méditative ou le running moderne, la randonnée forcenée, armé de deux bâtons cliquetant férocement dans le calme des montagnes, la marche nordique, la marche afghane, la marche militaire, la marche est toujours porteuse de valeurs différentes. L’esprit de la marche procure le silence intérieur nécessaire à l’équilibre et se veut un moyen face aux dépressions contemporaines. Tout le monde le dit haut et fort, le monde des humains va mal. La marche est même devenue un produit de consommation. Marcher a trouvé sa place dans les grands temples de la consommation. Qui n’a pas «musé » devant un rayon de Décathlon devant ces boussoles, ces gadgets pour faire du feu, soigner ses ampoules, prendre une barre énergétique dans la rude montée, des camelbags pour sucer consciencieusement sa ration d’eau, sans s’arrêter pour ne pas perdre de temps….Il existe même des podomètres pour calculer le nombre de pas. Et il est recommandé de faire au moins 1000 pas par jour. Alors à vos pas…..amis humains, vous n’avez pas fini de surprendre le monde animal…. Mais au fond, vous n’avez besoin que de vos deux pieds pour marcher!

marcher dans le Mercantour, Alpes du sud