Voici un guide historique, culturel et géographique des vallées du Mercantour si éloignées par leur mode de vie et pourtant si proches du littoral méditerranée. A 50 km à vol d’oiseau de la côte d’azur, des territoires de montagnes aux contraintes naturelles fortes ont donné naissance à une culture montagnarde partuclière, à des terroirs aux identités fortes que nous narre cet excellent ouvrage de Joël Giacchero. L’illustration de couverture est une magnifique photo du lac d’Allos, plus grand lac d’altitude d’Europe qui est le point d’orgue de notre randonnée lacs et cimes du Mercantour. Ce voyage dans le Haut Pays niçois est une introduction à notre article sur le patrimoine rural de nos vallées et pourra vous donner des éléments de réponses à vos questions lors de vos randonnées dans l’arrière-pays niçois.

Une civilisation de montagnes

En cheminant sur les sentiers de la haute vallée du Var, vous n’êtes pas forcément intéressé par l’anthropologie mais cependant, vous serez questionné par les traces d’un passé qui a marqué nos paysages de montagne:

  • pourquoi tant de fermes abandonnées?
  • pourquoi ces restanques en ruine mangées par la végétation?
  • pourquoi ces canaux d’irrigation se devinant encore dans les anciens prés?
  • pourquoi ces vestiges d’aires à battre?
  • A toutes ces questions, la réponse se trouve dans l’étude de la civilisation des montagnards et on évoque souvent ce terme «  l’Alpe », la civilisation de l’Alpe. Mais revenons aux origines et à l’étymologie de ce mot : Attesté depuis le 15 eme siècle, du latin alpes, il signifie montagne, hauteur. L’Alpe et les Alpes les montagnes en bref. Il existe même le verbe «  alper ». J’alpe, tu alpes, il alpe… qui veut dire mener le troupeau en montagne dans les pâturages d’été. On dit aussi enmontagner ou désalper quand il faut redescendre les troupeaux avant la neige. Ce vocabulaire de la transhumance témoigne de cette civilisation de montagne, cette terre humaine que sont les Alpes qui recèlent un patrimoine très particulier dont on retrouve de fortes réalités dans nos propres vallées du Mercantour. C’est la raison pour laquelle nous avons à coeur d’écrire un article sur l’Alpe pour éveiller votre curiosité sur notre culture alpine. A travers nos randonnées qui parcourent le Val d’Entraunes, vous aurez certainement l’occasion de visiter des petites expositions dans les villages traversés. C’est modestement mais avec un intérêt certain que sont dévoilées nos particularismes culturels. Vous pouvez consulter notre article sur le patrimoine rural de nos vallées.

Les vallées de montagne ont à coeur de conserver leur patrimoine, symbole d’une vie rurale passée dans des territoires enclavés et isolés. Il résulte de ce constat un élan d’énergies incarné par la constitution d’associations et d’écomusées pour au moins léguer aux générations futures le témoignage de ces cultures de montagne.
Ces bénévoles de tout poil ont voulu fixer et mettre en mots ou en paroles ou encore en photos les vestiges de ce passé dont nous sommes issus. Ils ont souhaité aussi susciter le respect et l’admiration pour cette économie autarcique basée sur une forme de frugalité obligée et de bon-sens issu du contact avec la Nature. Par la force des choses, qui est dans ce cas, la force des montagnes, ils ont su tirer partie du moindre lopin de terre, du plus petit bout de champ pour cultiver. Ne vous étonnez-pas, amis des randonnées que le sentier que vous empruntez ne passe jamais en plein milieu d’un champ mais le longe bien pour ne pas marcher sur une terre cultivable. Le génie était partout également, Preuve en est ces canaux d’irrigation long de plusieurs kilomètres, ces moulins à eau. Cette vie est issue de modes de vie millénaires. On se contentait de reproduire ce qui avait été enseigné. Imaginez- cette vie simple, sans se poser trop de questions. L’avenir était assuré, pas compliqué, bien tracé, reposant. Une vie d’effort, de difficultés certes mais simples à gérer, face à la nature avec la communauté villageoise pour aider, condamner aussi quand on déviait du chemin.

La vie d’antan dans les montagnes du Mercantour

Fermier ALpes du sud

Il n’est pas question d’en faire un retour idyllique et nostalgique mais de rendre à cette vie rude sa grandeur. Bien souvent, on entend cette expression «  dans le temps, c’était tellement dur ». Du coup, cela donne une image de ce passé fait de souffrances, de privations, Mais il convient de redonner aux Anciens le sens de la fête car ils savaient danser, aller jouer aux cartes en faisant parfois 2 heures de marche pour des parties endiablées. Nous proposons in itinéraire que nous avons appelé « sur les chemins de la crapette ». Les anciens n’hésitaient pas à faire 1.30 de marche pour jouer et rentrer dans la nuit. Les jambes étaient alors un moyen de locomotion sûr et la notion de dénivelée était inconnue. Hélas pour vous, vos jambes ont depuis appris qu’il y avait des pentes et des descentes . Hélas aussi, il n’y a plus de parties de crapettes car les joueurs sont partis ou devant la télé le soir. Reste le génépi heureusement…

La civilisation de l’Alpe


Mais qu’on ne se méprenne pas, l’activité essentielle autrefois n’était pas de jouer aux cartes mais une vie semi autarcique avec polyculture et petit élevage; on cultivait l’épeautre, les lentilles, le seigle, l’orge, on avait un petit jardin sur les terrasses , les «faisso»autour du village et des murs de soutènements, les «restanco». Elles sont le témoin d’une forte densité de population et d’une pénurie de terres. Cette agriculture n’a pas survécu à la mécanisation et à l’exode rural. Aujourd’hui, les terrasses sont en friche et les murets s’éboulent et sont souvent à peine visibles, mangés par la végétation.

Une vie rurale basée sur l’autarcie: La parole aux anciens

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Laissons la parole aux anciens dont Monsieur Ogier, 94 ans, qui grâce aux videos de Monsieur Jean-Pierre Champoussin peuvent témoigner de ce passé si loin de nous désormais. On accrochait la liste de courses au bidon de lait qui descendait par un câble et le chauffeur de bus prenait les bidons et faisait les courses. Tous les mois, on descendait au magasin et on payait les courses qui étaient consignées sur un cahier. C’était en confiance. Imaginez de nos jours demander à un chauffeur de bus de faire vos courses. et que le magasin fasse crédit ….Les époques changent…

René Oger, 94 ans, nous livre ses souvenirs dans la video ci-dessous. Le petit village d’Enaux dont il est issu fait partie de l’itinéraire lacs et cimes du Mercantour. C’est un charmant petit groupement de fermes anciennes à 1300 m d’altitude et ce vieux monsieur regarde souvent passer les randonneurs. Il est émouvant d’entendre les paroles des anciens car on mesure ce qui sépare désormais la culture montagnarde rude et notre époque d’abondance. Vous noterez sa phrase anodine masi combien importante  » on était pauvres mais on était heureux ». »Il y avait la grippe parfois et les voisins s’occupaient alors d’aller traire les vaches si quelqu’un était alité. La solidarité était importante. Il pouvait tomber un mètre de neige et il fallait bien faire la trace pour que le docteur puisse venir ». On se soigner aussi par les plantes. Voir notre article car déplacer le docteur était onéreux. Il fallait le faire venir sur la mule de Guillaumes et le raccompagner.

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A Guillaumes, la fête des femmes, femmes jeunes, dans la fleur de l’âge, agées, au son nostalgique d’une chanson d’époque, laissez-vous emporter à rêver à vos arrière grand-parents avec cette succession de photos tantôt souriantes, tantôt graves comme seules les femmes du début du siècle dernier savaient garder un air de sévérité. Dans ces temps, Mesdames, on ne plaisantait pas devant le photographe, on savait se tenir et on gardait la tenue de circonstance.

Des musées de montagne pour se souvenir

Reste aussi dans ces musées un nombre incalculable d’outils ou d’ustensiles qui ressemblent à un inventaire à la Prévert: mortier, pilon, monte mayonnaise, couperet à viande, moulin à café, vieilles boites en fer, fers à repasser, pelle à enfourner le pain dans le four à pain, tisonniers, flacons, lampes à huiles, à pétrole, pichets en terre, paniers en osier pour champignons, garde-mangers, pendules roccoco, boîtes de conservation à carreaux émaillées pour le sucre, la farine, le café, vielles cafetières biscornues en fer blanc où on pressent le goût du café bouillu, rouleau de pâtisserie, casseroles antiques mangées par la rouille, poëles à longues manches pour les châtaignes, panier à salade, pinces à braises, cuillères rustiques en bois sculptées l’hiver au coin du feu, marmite en fonte et le poêle «  trèfle »,

trefle

l’ami des ménagères, celui qui chauffe tant qu’on est là et s’éteint aussi vite mais carbure au genêt et donne une chaleur vive et amicale. Le trèfle est le compagnon incontournable de ces maisonnées d’antan. On fait la soupe, on chauffe l’eau, les confitures, les conserves. Le trèfle ronronne et on est autour le soir à raconter les histoires du jour, les cancans du village. Il y a aussi la cheminée avec son trépied où on cuit la nourriture pour les cochons; une brassée et on s’embrasserait de joie devant cet éclat de feu dans la pièce sombre. Le hachoir aussi se retrouve dans cet inventaire pour finement hacher les herbes . Essayez la différence dans un robot et au hachoir et on vous défie de retrouver le vrai goût des fines herbes. D’un côté, vous aurez une bouillie verdâtre, de l’autre un hâchis humant des belles odeurs différenciées. C’est comme une soupe à la moulinette ou au robot mixer. On a perdu le goût de la soupe en la passant au mixer. D’ailleurs, on a perdu plein de saveurs en passant à la modernité !
Et parlons un peu de la chaufferette… Quand il fallait quitter la salle commune chauffée pour retrouver la chambre froide, eh bien, on mettait des braises dans la chaufferette et les draps s’en trouvaient tout tiédis…un réconfort pour les pieds quand on n’avait pas de monsieur pour les réchauffer car iles connu de tous temps que les madame ont les pieds froids l’hiver, histoire de circulation sanguine!

Le gavot, la langue des alpins

Souvent les randonneurs n’imaginent pas la vie d’autrefois quand ils cheminent dans ces contrées de nos jours abandonnées où l’on croise plus d’animaux que d’humains et où les ruines des « campagnes » sont mangées par les broussailles. Mais le Val d’Entraunes n’était pas coupé de moyens de communication. Les hommes marchaient à travers cols, pour marchander, transhumer, échanger, collecter. Marcher était la vie. Parler le gavot , ce parler alpin que l’on a pu nommé parent pauvre de l’occitan permettait de se comprendre. Pour parler la même langue, encore faut-il avoir un sentiment d’appartenance. Ici, les habitants ne se préoccupaient pas de frontières administratives. Leurs soucis se mesuraient à la hauteur de la neige en hiver et aux récoltes de lentilles et de blé. On parlait français pour l’administration, en classe etc mais à la maison et entre villageois, le parler courant était le gavot, l’alpin., le patois diront les puristes. Mais imagine-t-on la souplesse cérébrale pour parler plusieurs langues, nous qui avons tant de mal à parler anglais par exemple…Le gavot, donc, est le langage montagnard et il se perd pour devenir une langue du passé, de la tradition. C’est malheureux qu’une richesse linguistique disparaisse ainsi car la culture orale véhiculait la mémoire des anciens.

Une autre perception de la Nature

Les anciens avaient un contact intime avec la nature, se gardaient bien de vouloir la maitriser mais ils composaient avec, se méfiaient des orages, des intempéries, pliaient le dos face à l’adversité. Ils avaient un grand respect pour ce que Dame Nature leur procurait, utilisaient les herbes médicinales pour se soigner. Voir notre article.

L’Alpe et la marche :

Dans cette culture de montagne, il est un art de la marche car on n’imagine pas ne pas se déplacer. Hors de question d’avoir un carrosse sur ces sentiers aléatoires, il ne reste que les pieds avec des chaussures dont il faudrait étudier l’histoire. De la marche à la randonnée, plusieurs dizaines d’années nous séparent mais aussi des fossés culturels sont incarnés entre le godillot aux semelles cloutées et les Mendel à semelles en vibram!

L’histoire de la chaussure de montagne à travers les temps

Sur les peintures rupestres datant de 13000 ans, les chasseurs portent des sortent de bottes en fourrure. Il y a 5000 ans, les humains portaient des chaussures, la preuve avec la découverte de la momie d’Ötzi et ses chaussures fourrées, fermées par un lacet et pourvues d’une semelle crantée. La tige et la semelle extérieure étaient composées de différents types de cuir. La fonction première est de protéger les pieds des intempéries et des aspérités. Vouées à marche sur des sentiers pierreux, elles se doivent d’être solides, renforcées. C’est Alexis Godillot, fournisseur de l’armée qui le premier a conçu des formes distinctes pour les pieds en 1854. Auparavant, on ne distinguait pas la gauche de la droite ce qui arrangeait bien les enfants mais il faut imaginer à quel prix nos pauvres pieds devaient former les chaussures en cuir rigide. Il n’y avait pas de compeed à l’époque pour calmer les ampoules! Les chaussures étaient produites à l’unité et purement artisanales, du coup très onéreuses. De nombreux montagnards n’avaient pas les moyens de s’en procurer et portaient des galoches. Ce n’est que grâce aux innovations techniques de la révolution industrielle que les chaussures sont devenues accessibles au plus grand nombre. Il y avait en outre les chaussures «  du dimanche » portées pour aller à l’église , ou les grandes occasions. Soulier ou chaussure, peu importe le vocable, on sait bien mal aux pieds car il fallait attendre que les »chaussures se fassent », expression qu’on n’entend plus trop!
Au Moyen Age, on préférait préserver la chaussure et non le pied car il fallait qu’elle dure le plus longtemps possible. Alors, tous les matins, on inversait les chaussures : « Poudetz pensa que las doulours èrou loungos! »

L’exode montagnard:

https://www.ina.fr/video/CAF94062403

Un excellent livre sorti récemment, en 2019  » Chaudun le village sacrifié » de J.L Fontaine, relate l’exode à la fin du 19 eme siècle de CHaudun, village des Hautes Alpes. Pour survivre, ils ont vendu leurs maisons à l’Etat français en échange de terres à cultiver en Algerie, aux Antilles ou encore au Mexique.

Mais ne pensez-pas que ces montagnards étaient terrés dans leurs villages et n’avaient pas de communication vers l’extérieur. Des mouvements se faisaient. L’homme est curieux de nature et bouge pour voir ailleurs ce qui se passe puis revient raconter à ceux qui sont restés . Ils ont vite su qu’il y avait des terres plates, plus faciles, moins arides mais les coutumes de vie persistent et l’homme est attaché à son territoire. Même après la 1 ere guerre mondiale qui a tant coûté en vies humaines à nos montagnes, ceux qui ont pu, sont restés car les montagnes sont magnifiques et qu’aller en plaine est généralement vécu comme une punition. C’est le coeur triste que sont partis les montagnards. Ne croyez-pas qu’ils n’ont pas regrettés leurs montagnes. Simplement, il n’y avait plus de quoi tirer leur subsistance et la vie était plus facile  » en-bas ». Ils ont échangé leur âme, leurs lopins de terre pour le confort, pour un travail moins rude. Ont-ils eu raison?

https://www.facebook.com/watch/?v=940488386447656

Bibliographie

https://www.editions-sutton.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=67393&razSqlClone=1

https://www.lalpe.com/la-revue/
https://www.universalis.fr/encyclopedie/soulier-histoire-du-costume/

https://www.alpesazurpatrimoine.fr/academie-du-val-dentraunes/cartes

https://www.alpesazurpatrimoine.fr/roudoule/actualites


Musée International de la Chaussure
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